ZITA SWOON GROUP
Wait For Me
(Crammed Discs)
Mariage séduisant entre blues/folk acoustique et musique traditionnelle mandingue d'Afrique de l'Ouest, Wait For Me est un projet organique né de la rencontre de Zita Swoon Group avec la chanteuse et le musicien burkinabés Awa Démé & Mamadou Diabaté Kibié. Ensemble, ils ont écrit des chansons rayonnantes dont les textes, tour à tour graves et malicieux, traitent souvent de problèmes actuels de la société ouest-africaine. Le dialogue permanent entre les envolées vocales d'Awa Démé (en langue dioula) et le débit rauque de Stef Kamil (en anglais et français), les riches textures instrumentales, les arrangements inventifs, et l'excellence des huit musiciens font de Wait For Me un album chaleureux et captivant.
Leader de l'un des groupes belges les plus importants de ces quinze dernières années, Stef Kamil Carlens a graduellement transcendé les limites du concept de 'rock band', dans lesquelles il se sentait à l'étroit. Toujours partant pour de nouvelles aventures, il voyage au Burkina Faso en 2010, et y rencontre la chanteuse Awa Démé et le joueur de balafon Mamadou Diabaté Kibié, tous deux des griots (membres d'une caste de communicateurs de la tradition orale). C'est le point de départ d'une collaboration fascinante. Stef Kamil passe du temps à faire leur connaissance, écoute leurs histoires, essaye de se familiariser avec leur environnement et leurs manières de voir le monde. Ils commencent ensuite à jouer ensemble, et trouvent rapidement une manière de combiner les mélodies et formules rythmiques ouest-africaines de Mamadou et Awa avec le style de Stef Kamil et ses racines blues et folk/rock.
La plupart des chansons qu'ils ont écrites ensemble sont basées sur des dialogues: les paroles d'Awa Démé (chantées en Dioula, une langue mandingue) sont reflétées en miroir dans les textes chantés par Stef Kamil (en anglais, parfois en français), qui brodent sur les sujets de prédilection des griots: il y est question de sagesse traditionnelle, de relations interpersonnelles, codes sociaux et traditions culturelles, mais également de problèmes politiques et sociaux très actuels: l'épuisement des ressources naturelles du pays, la pauvreté endémique qui pousse les gens à vouloir émigrer à la recherche d'une vie meilleure, etc. Les textes de Stef Kamil se présentent tantôt comme des développements de thèmes évoqués par Awa, tantôt comme des réponses, qui apportent un point de vue croisé: dans la très belle chanson A Ni Baara, Awa exprime l'espoir des candidats à l'émigration, tandis que Stef Kamil décrit la triste réalité qui les attend souvent.
Une fois les chansons écrites, Stef Kamil Carlens est passé à l'étape suivante: créer un environnement sonore spécifique, afin de transformer l'idée de départ en un spectacle et un album intéressants. Comme pour la conception de tous les projets récents du Zita Swoon Group, sa démarche débute par la sélection d'une série d'instruments susceptibles de constituer une palette de textures bien définies, auxquels il se limitera, et dont la combinaison produira une couleur bien particulière et racontera sa propre 'histoire auditive'. Les sonorités chaleureuses du balafon se trouvent ainsi mariées aux timbres singuliers du banjo, de la guitare à résonateur (chère aux country bluesmen) et de l'harmonium, accompagnés d'un attirail de petites percussions, une guitare basse et un kit de cocktail drums (l'instrument fétiche des batteurs de jazz 'de salon' dans les années 50).
Cette instrumentation triée sur le volet a ensuite été confiée à un groupe de musiciens superbes (dont certains –mais pas tous- sont des membres réguliers de Zita Swoon): le jeune maître cubain Amel Serra Garcia joue des percussions, la chanteuse belgo-congolaise Kapinga Gysel joue de l'harmonium, du glockenspiel et assure les harmonies vocales, le guitariste Simon Pleysier joue principalement du banjo, la basse est confiée à Christophe Albertijn (qui est habituellement compositeur et designer sonore), et les cocktail drums à Karen Willems (batteuse dans un groupe indie rock). Quant à Stef Kamil Carlens, qui a co-écrit les chansons, les a chantées et arrangées avec un souci méticuleux du détail, il joue de la guitare à résonateur et de la guitare électrique.
Après une première série de concerts en Belgique en mai 2011, qui a enthousiasmé la presse, le groupe est entré en studio pour enregistrer l'album, qui a ensuite été mixé par Gilles Martin, complice de longue date de Stef Kamil (…et précédemment de Crammed Discs, puisqu'il a collaboré à l'enregistrement d'une quarantaine des albums produits par le label pendant sa première décennie).
Tels sont donc les premiers chapitres de l'histoire de Wait For Me… Ce qui a débuté par un voyage solitaire en Afrique de l'Ouest s'est transformé en un excitant millefeuille: sur le plan humain, une aventure collective partagée par des gens issus de deux continents; sur le plan textuel, un dialogue fécond entre deux cultures, entre deux points de vues croisés; sur le plan musical, une nouvelle forme de collaboration, qui parvient à tresser styles ouest-africain et "nordiste" en les intégrant avec grâce dans un format de chansons quasi-pop… et tout à la fois une œuvre d'art sonore, avec ses arrangements délicats et ses choix de timbres audacieux.
Stef Kamil Carlens parle de Wait For Me
"L'Afrique me fascinait depuis longtemps, mais avant mon voyage, à l'exception de quelques connaissances recueillies par le truchement d'une collection de CD, c'était resté pour moi un continent inconnu.
Mamadou et moi avons commencé à jouer, lui du balafon et moi de la guitare. Les limites du balafon, avec sa gamme qui débute par un fa, constituaient un avantage parce que d'emblée elles permettaient d'exclure un certain nombre de choses. Puis tout est allé très vite : recherche collective de la voie à suivre, notation et premiers enregistrements
Mamadou et Awa vivent en ville [à Bobo-Dioulasso], mais ils sont restés des villageois analphabètes. La plupart de leurs chansons sont d'origine griotte et reposent sur une sagesse populaire ou sur une philosophie transmise de mère en fille ou de père en fils. Les sujets sont divers et surtout humains: l'honnêteté, le mensonge, la tricherie, la charlatanerie politique à petite échelle. Mais ils se rapportent quelquefois très spécifiquement à des questions contemporaines comme l'écologie. La déforestation est massive au Burkina et menace de mettre tout l'écosystème sens dessus dessous. Ainsi l'une des chansons est un appel en faveur d'une réduction des incendies de forêts et des coupes d'arbres.
La modernisation du Burkina Faso est lente. Il y a la dictature depuis 23 ans, il y a le climat aride de l'Afrique subsaharienne, il y a la mondialisation de l'industrie du coton qui détruit les petits agriculteurs. Le Mali et le Burkina sont les plus grands producteurs de coton en Afrique, mais leur production repose sur les cultures génétiquement modifiées qui ne produisent pas de graines. Pour acheter chaque année les semences brevetées des grandes multinationales, les agriculteurs doivent dépenser beaucoup d'argent. Et nous ne parlons pas de la monoculture ni de l'approvisionnement en eau indispensable.
Nous avons discuté ensemble durant des soirées entières. Les gens parlent effectivement de libéralisation, au sens d'épanouissement social. Ils estiment qu'il faut en finir avec la dictature, que les femmes devraient avoir plus de droits, et que l'enseignement devrait s'améliorer. Mais en même temps on se pose la question de savoir ce qu'on mangera le soir. « Un homme qui a faim n'est pas libre » Combien de fois n'ai-je pas entendu ce propos ! J'ai passé de nombreuses soirées avec mon fantastique guide Ibrahim (Diallo) et j'ai écouté son histoire fascinante ainsi que celle des autres.
Je suis fasciné par l'importance que prennent les codes sociaux au Burkina Faso, les lois du comportement social qu'appliquent les Burkinabés en particulier vis-à-vis des « étrangers »pour lesquels ils sont prêts à tous les sacrifices. Au Burkina on se met totalement à leur service… Ils y sont traités comme des princes, qui qu'ils soient et d'où qu'ils viennent. Je ne pense pas que nous n'ayons jamais eu dans notre culture et dans nos gènes des codes semblables. Nous pourrions en prendre de la graine".
[Pour maintenir l'unité dans la diversité culturelle et ethnique – le Burkina Faso compte environ 60 ethnies différentes – la société a installé des soupapes de sécurité comme la parenté de plaisanterie, soit une relation de taquinerie].
"C'est incroyablement intrigant et on s'en aperçoit en observant cette société qui est en général très pacifique. Les Sénoufo et les Peuls par exemple ont conclu un pacte séculaire qui exclut tout litige entre eux. Les deux groupes peuvent tant qu'ils veulent se moquer les uns des autres et même s'insulter mutuellement, jamais ces moqueries et insultes ne dégénéreront en querelle. Il faut dire qu'il y a aussi de nombreux codes qui me sont inconnus et qui sont plus cruels. Ainsi le vol est considéré comme un péché mortel. Celui qui se fait attraper n'y coupe pas : c'est un homme mort. On m'a dit qu'à ce moment-là tout le monde se rue dehors pour lyncher le coupable sur place et que le seul refuge où les voleurs pourraient se retrouver en sécurité est le poste de police. L'envers d'une approche aussi violente est que très peu de larcins se commettent au Burkina."
[Le Burkina Faso est un pays religieux, où la plupart des habitants adhèrent à des pratiques religieuses traditionnelles telles que l'animisme et l'islam. Douze pour cent d'entre eux seraient chrétiens.]
"Je m'en suis tenu un peu éloigné. Je ne suis pas religieux, et une personne hostile à la religion n'est pas appréciée. Toutefois, nous avons des chansons ayant des liens étroits avec la religion, comme Ala No Man Di, qui célèbre le mystère impénétrable de Dieu. C'est une belle chanson qu'Awa, très pieuse musulmane elle-même, chante seule".
Awa Démé dit :
"Allah est toujours près de moi. Etre croyant n'est pas toujours un choix évident pour tout le monde. Dans Ala No Man Di, j'explique combien il peut être difficile de croire en Dieu. Dieu embrasse la vie de chacun: de ceux qui souffrent et de ceux qui sont heureux. Il y a des gens qui sont destinés à la fatalité; ils perdent tout ce qu'ils ont et tous ceux qu'ils aiment. Et il y a des gens qui sont destinés au bonheur, qui n'ont jamais eu de problème. Ce qu'ils veulent, ils l'obtiennent. Ce sont précisément ces énormes différences dans la répartition du bonheur et la question de savoir le pourquoi de cette inégalité qui rendent plus grand le défi de croire en Dieu.
[Awa Démé est née et a été élevée dans la tradition des griots ouest-africains, et elle n'a jamais apprit d'autre langage que l'oral. Comme beaucoup de jeunes Burkinabés, elle conçut le projet de quitter un jour l'enfer sans issue de son pays aride et affamé.]
"Les gens sont fatigués de travailler, de lutter tous les jours pour trouver de quoi se nourrir. Le choix est simple: partir chercher ailleurs une meilleure alimentation, une meilleure vie. Seulement, tous ne peuvent pas faire ce choix. C'est de cela qu'il s'agit dans Wait For Me".
[Elle chante le désir d'exode dans le très beau duo A Ni Baara, tandis que Carlens y évoque en même temps la réalité impitoyable de l'émigration économique. Une réalité qui existe aussi au Burkina Faso où beaucoup de Burkinabés sont forcés d'aller en Côte-d'Ivoire travailler à des salaires de misère dans l'industrie du cacao et de la banane littéralement pour nourrir leur famille.]
"Grâce à ce projet, j'ai trouvé une nouvelle issue. Ce dialogue avec d'autres pays ouvre mon univers. Ce dialogue agit dans deux sens" dit Démé. Elle apprend de nouveaux codes et de nouvelles langues, à la fois leur forme et leur contenu, et cela lui permettra d'enrichir ses connaissances et sa personnalité. En même temps elle peut ajouter l'immense patrimoine culturel qu'elle porte en elle au bagage des musiciens européens.
"Un griot est une bibliothèque vivante», explique Démé. Elle se considère elle-même comme un réceptacle plein d'histoires sur le passé, le présent et le futur. "Comme griot j'ai pour tâche de transmettre ces histoires. Le fait de pouvoir partager ces histoires de la culture mandingue ouest-africaine au-delà des frontières, et de voir que Stef en tire quelque chose m'enchante au plus haut point. Wait For Me est devenu un projet très ouvert, avec des musiciens qui se respectent énormément les uns les autres. Nous sommes tous solidaires pour le soutenir, et cela se sent. "
Ibrahim Diallo dit:
"J'ai assisté à un concert de Zita Swoon à Anvers, et l'évidence de faire un projet avec Stef Kamil Carlens s'est immédiatement imposée".
[Ibrahim Diallo est le conseiller artistique au Burkina Faso de la Maison des Cultures du Monde Zuiderpershuis, dont le soutien a joué un rôle crucial dans la genèse du projet].
"Stef a une incroyable capacité de transmettre des émotions, de s'engager dans d'autres traditions et cultures, d'établir des rapports. C'est quelqu'un qui purifie la musique en la ramenant à sa véritable essence. En même temps j'appris - et cela me semblait une plus-value - que son groupe était une nichée de Flamands, de Cubains, d'Africains, de métis, donc un "truc bariolé".
Dans Wait For Me, chaque musicien occupe une place égale sur une ligne horizontale, ouverte . On sent que Stef est là, de même que le balafoniste, le bassiste, le griot. Toute la dispositif agit par la grâce de cette appréciation et de cette cohésion.
[Les textes et les dialogues embrassent la morale et les problèmes de la société burkinabée. Diallo a donc invité Carlens à l'accompagner dans son pays et lui a fait connaître le Burkina contemporain, tant au plan culturel que politique et social. Diallo, attaché depuis dix-sept années au Zuiderpershuis, a fondé dans la ville burkinabée de Fada N' Gourma le centre culturel Le Grenier. Cette maison est devenue un point d'ancrage et de rencontre entre l'Afrique occidentale et Anvers.]
"Je rêve de faire une tournée avec Wait For Me en Afrique de l'Ouest. Bien sûr, ce n'est pas une rencontre politique, mais avec un dialogue comme celui-ci, si pur, on se doit de lancer la ligne. Il s'agit en fin de compte d'une transaction honnête et équitable entre les deux cultures. C'est entre les lignes des textes que vous lisez les soucis économiques et politiques. Vous lisez ce qui va mal, ce qui est inefficace. J'aime mon pays, c'est un beau pays avec des gens honnêtes. Je n'éprouve pas le besoin de le quitter. Pourquoi le ferais-je? Je crois qu'il est possible qu'à un moment donné tous les hommes obtiennent que leur soit donné leur pain quotidien. Cela semble banal, mais la nourriture est essentielle au bonheur. Ce n'est que lorsque vous pouvez manger et vous trouver en bonne santé que vous êtes à même de remplir votre vie de créativité. Vous n'avez pas besoin de construire un immeuble en béton de trois étages pour éprouver la richesse de l'existence".
[Pour Diallo, la spiritualité coïncide avec les lignes de la vie:]
"La vie elle-même est mon guide et ma source d'inspiration. Être capable de bien vivre selon ce qu'apporte la journée, voilà mon objectif. "
Extraits de l'interview réalisée par Tine Danckaers pour MO * Magazine